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Des sons étirés pas éthérés — parce que c’est bien là. Des textures dont le tissu serait une manière de musique. Granulés d’atmosphère avant même l’apparition d’un rythme. Des micro-mouvements plutôt que des formes aux contours bien délimités. Des vibrations en suspension dans une atmosphère de basse. Enfin, une voix aussi légère que l’ensemble (de Sanae Yamasaki), qui d’ailleurs se fond dans l’ensemble, sans jamais le surplomber, l’habite comme on vivrait dans un lieu plus ou moins déterminé, mais dont on ne peut ignorer qu’il est spécifique. C’est bien là, disions-nous (Wonder Particle).
Et assister à l’apparition de la musique, non pas comme une structure qui organiserait des éléments disparates, un peu comme si c’en était la condition a priori, mais bien plutôt comme un événement, comme quelque chose qui émerge progressivement, un quelque chose (saurait-on dire mieux qu’il ne le faudrait peut-être pas, pour rendre cette impression presque flottante, d’équilibre précaire et éminemment désirable) qui apparaît plutôt qu’il ne s’impose. Comme cette cadence que l’on entend finalement en écoutant Vulpecula ; une suite d’accords qui se résoud à la fin, à la toute fin, comme l’aboutissement d’une progression naturelle, et non comme l’organisation d’un donné informe.
La forme vient toujours à la fin. Mais elle ne couronne rien. Si elle a lieu, c’est toujours de façon impermanente, comme les esquisses de similigrooves (une manière de protofunk), qui ont tout juste le temps de se montrer avant de disparaître. Nul échec ici, nulle tentative avortée, mais un espace et un temps, une durée et un territoire dans lequel des événements ont lieu, qui peuvent continuer, qui peuvent s’arrêter (Who Lives in the Skin Burn ?, Taxonomy), ou qui adoptent un format qui semble plus déterminé, un format qui regarderait, par exemple, la pop d’un lieu étranger à elle, qui la considérerait à une distance raisonnable pour que la ballade puisse exister vraiment sans être une bleuette, la distraire et la détraquer (Night Hike).
Moment parfait, mais seulement — ne pas chercher autre chose — un moment, lequel est faussement cristallin, qui se dérange à chaque instant qu’il continue. Moment parfait comme le sont ces Fragments of Journey parce qu’il ne se sera sans doute agi que de cela : traverser des espaces, l’espace de quelques instants, aller quelque part où l’on ne restera pas, parce qu’il n’est peut-être pas bon de rester toujours au même endroit.
En musique, comme ailleurs, sans doute, nous gagnons à circuler, puis à nous arrêter, à nous arrêter, puis à circuler, et produire dans ces transitions et ces haltes répétées et successives des formes de vie que nous puissions aimer.